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Edouard Glissant

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De la « créolitude »

Ce que pensent quelques universitaires témoins

 

            Le concept de « Créolitude » né en 1989 avec la revue internationale Racines et couleurs – de nombreux universitaires s’y expriment –, porté par Jonas Daniel Rano, avec les Éditions Équinoxe des arts et lettres et la publication de Créolitude (L’Harmattan, 1999), est forte d’une audience importante dans des universités, notamment Havard, Laval, Alexandrie, Jussieu, Brazzaville, Papeete, Noumea, Lubumbashi, Metz, Nancy, Abidjan, Lille III, La Sorbonne nouvelle, etc., comme dans des institutions prestigieuses : l’Unesco, l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, le CNRS, l’AUF, a fait l’objet de multiples présentations à l’occasion de nombreux colloques internationaux, comme de publications scientifiques.

 

            Les travaux de Jonas Rano sont considérés par des intellectuels et universitaires de renom, tels Cheikh Baké Diop, Gabriel Lisette, Jean-Charles Gomez, Grégoire Biyogo : « Pour ce que vous faites, pour l’honneur de l’histoire et de la science » ; Georges Desportes, ou

Vinvent Placoly : « Un grand ami en littérature », trouve la justification de sa qualification de « courant » dans leurs démonstrations. Par exemple, Maximilien Laroche : « Il faudrait peut-être songer déjà à dire : créolitude et bossa-litude » (L’Année francophone, 2000) ; Aimé Césaire disant « À Jonas Rano pour le remercier d’aider la Martinique et son peuple à retrouver le chemin de la fraternité qui est aussi celui de l’identité… En toute sympathie » (2002) ; Théophile Obenga : « Mon frère et ami, merci pour tout ce que vous faites pour l’Afrique » (Racines et Couleurs, n° 126) ; René Ménil écrivant « À Jonas Rano

en reconnaissance de son travail et de son apport dans notre avancée historique » (2001).

            Pour Papa Samba Diop (Paris XII) « La créolitude tend à assurer les fondements identitaires et littéraires de l’intelligentsia afro-créole, elle est « l’identité culturelle d’une communauté […] Elle conditionne à la conscience d’une nécessaire démystification de la pensée coloniale, en en faisant même une forme d’engagement littéraire singulière dans le champ littéraire francophone ».

            Pour Xavier Garnier (Paris XIII, Villetaneuse), « C’est l’invention d’une réponse culturelle à une situation de domination et établit un lien constant entre la poétique et le positionnement socioculturel de l’œuvre de Damas. M. Rano montre bien comment se crée la différence entre créolitude et négritude, notamment à partir de la nécessaire dimension historique de tout processus de créolisation ».

            Pour Georges Ngal (Sorbonne Paris IV), « La notion de “créolitude”, qui est au cœur du projet théorique de cette monographie, est posée comme une alternative à la négritude d’une part et à la créolité d’autre part ».

            Pour Alfred Shango (Paris III Sorbonne-Nouvelle) : « On sera sensible à la volonté [...] d’arracher L.-G. Damas de l’oubli par des arguments souvent pertinents et convaincants […] De ce point de vue, on peut dire qu’il [J. Rano] a réussi son pari, qu’il a su se plonger avec détermination dans l’univers culturel, littéraire, intellectuel et politique de Léon-G. Damas pour nous brosser le tableau le plus complet que possible d’une existence exaltante, d’un combat noble et d’un engagement imperturbable pour une cause juste : celle de la réhabilitation de l’identité noire et de l’identité afro-créole ».

            Jean Metellus écrit : « En tant que fille rebelle ou non de

la négritude, la créolitude est à l’origine de l’œuvre profondément

humaniste de Jonas Rano, d’une part en s’ouvrant sur le monde, d’autre part en affirmant la position de l’homme originaire d’Afrique, cette Afrique à laquelle nous devons être infiniment reconnaissants.

En tant que fille soumise, respectueuse ou têtue de la négritude,

la créolitude de Jonas Rano revalorise à juste titre l’apport de l’Afrique à l’humanité. En tant que fille indomptée de la négritude, la créolitude s’interroge encore sur tous les attentats de l’Occident envers l’Afrique. Et ce versant de la créolitude nous permet de voir briller les fondements historiques posés par Price-Mars et Césaire. » (« Préface » à Semences de vie. Wakaru, 2011 : 17-29).

 

            La « créolitude » se place de la sorte comme versus d’une série d’expressions connexes que sont chronologiquement : la Négritude (1937 à ce jour). Certes entre 1955 et 1965 le mouvement de la négritude voit son audience accroître grâce à l’apport d’intellectuels comme René Depestre (« Sur la littérature négro-africaine ») et Jacques Roumain de 1957 à 1980, puis avec Frantz Fanon « Fondement réciproque de la culture nationale et des luttes de libération », de 1956 à 1965. Ensuite, de 1970 à 2011, on trouve l’Antillanité des années soixante-dix (« Stratégies et positions d’écriture dans le champ littéraire francophone »), l’œuvre philosophique d’Édouard Glissant.

            Quant à la Créolité (1990-2000), pour Philippe Lucas (« L’aventure ambiguë de la Créolité antillaise »), on ne peut pas considérer que ce concept-(polémique) a vécu.

            Que ces concepts soient perçus comme des entités dont l’identité se définit par « négritude », « créolité » ou « antillanité », la problématique nous paraît la même : derrière la multiplicité des noms, des postulats, des concepts, des écoles, des avant-gardismes, on découvre, avec du recul, que « se pose un vaste phénomène confluent de recherche d’identité » (Depestre, Bonjour et adieu à la négritude : 127).

 

            Enfin, pour Huit Mulongo Kalonda-Ba-Mpeta. (Chef de Service de Lettres et Civilisation Congolaises. Université de Lubumbashi/ RDC).) dans sa « Préface » à Créolitude et terres-source) (2009).

            «  Dépassement de la Négritude dans l’espace des cultures croisées en Amérique antillaise francophone, Créolitude n’en prolonge pas moins, et d’une manière quasi permanente, le combat identitaire. La Créolitude comme état d’être (linguistiquement, culturellement), créole, a la vertu de fédérer la source identitaire nègre et l’acquis culturel de la francitude ensemencé dans l’espace antillais par la dictature de l’histoire. Dépassement parce qu’à la fois reconnaissance de la « source » et surtout, reconnaissance de « l’embouchure » : ce qui se jette dans la mer n’est pas seulement ce que la Source a offert.

 

            C’est sûrement ce que Daniel Jonas Rano veut dire lorsqu’il affirme « qu’en regard de la Négritude, choisir la Créolitude est une perspective explicite, non pas seulement parce que la Négritude et la Créolitude sont l’une à côté de l’autre, mais parce que l’une et l’autre nous paraissent synthétiser deux voies qui, sans s’opposer, se complètent, aussi bien quant à la définition ontologique du sujet, que quant aux spécificités qui déterminent épistémologiquement la possibilité de saisir les enjeux d’une création nouvelle.

 

            La Créolitude est, me semble-t-il, l’aval qui reconnaît son amont et non l’amont qui se fait aval. Et la terminologie d’Afro-créole vient à point pour traduire cette vision nouvelle. Et c’est cette quête de ressourcement amorcée par Césaire : Cahier d’un retour au pays natal, que Daniel Rano vient de réaliser. Mais l’Afrique de Césaire n’est plus un pays natal pour ses arrières arrières petits enfants mais plutôt une (des) « terre(s)-source ». Et à peine une année après la mort de Césaire, le destin a voulu que ce fût le créateur de la Créolitude qui réussisse un véritable « retour en terre-source ». Et quelle source ?

 

            La République Démocratique du Congo, pour y vivre une « (véritable) saison » culturelle, à l’occasion de l’hommage que les hommes de culture ont rendu à l’un des monuments scientifiques du Congo : Georges Ngal.

            Ainsi donc Daniel Rano se retrouvait ex abrupto parmi ses frères-source. Il leur a parlé, il les a salués, non pas dans l’historique quartier latin de Paris, ni dans la librairie de Présence Africaine, ni celle de l’Harmattan, mais au pays de Lumumba. Quel destin ? Il fallait le voir Rano, parmi les étudiants qui n’en finissaient pas de lui poser des questions. Une chaleur africaine qu’il a surement rencontrée dans la littérature de la Négritude, mais qu’il dut enfin vivre en vrai, sans forcer du reste, car l’Afrique-source était en lui, l’Afro-créole.

            Quel destin, réalisé grâce à un autre homme providence, Moïse Katumbi, le Gouverneur du Katanga. Comme jadis et naguère c’est un homme politique qui est venu au secours de la culture et de la science, en acceptant de patronner l’hommage à Georges Ngal. Sans se douter un seul instant que ce geste allait permettre la réalisation d’un vieux vœu césairien : le retour d’un afro-créole nommé Daniel Jonas Rano en terre-source. Quel destin ?